Né le 18 janvier 1689, Charles-Louis de Secondat du château de La Brède, futur baron de Montesquieu est l’un des plus éminent philosophe français des Lumières. Notamment connu pour « De l’esprit des lois » (1748), œuvre colossale de trente tomes rédigée sur plus de vingt années, il sera ensuite reconnu comme étant le pionnier du libéralisme en politique. En 1717, trop poli pour ennuyer ses contemporains avec un traité aride, il cherche une façon plus plaisante de transmettre son aversion envers les travers de la société. S’en suit, en 1721, la publication à Amsterdam des Lettres Persanes, roman épistolaire qui, malgré le fait qu’il soit publié anonymement, ne trompera personne quand à l’identité de son auteur.
Le texte suivant est extrait de la lettre XCIX du roman. Il s’agit là d’un courrier envoyé par Rica à son ami Rhédi. Il y décrit avec humour les changements continuels de la mode et la superficialité occidentale.
Aussi pouvons-nous nous demander comment Montesquieu s’y prend t’il pour critiquer cet aspect de la société.
Nous verrons dans un premier temps l’expression des changements de modes, avant de porter notre attention sur la dimension caricaturale de cette lettre. Nous remarquons enfin la portée politique de celle-ci.
Cette lettre se compose de cinq paragraphes. Dans le premier, Montesquieu nous fait part de son regard sur la mode française : « Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants ». De plus, dès les premières lignes, l’idée de rapidité des changements de la mode s’exprime. En effet, on remarque une mise en relation entre deux indices temporels « ils étaient habillés cet été » et « ils le seront cet hiver ». Ceux-ci sont joint à « ont oublié » et « ignorent », verbes synonymes qui expriment la superficialité des français et la rapidité des changements. En effet, cette phrase laisse à penser qu’entre l’été et l’hiver, une multitude de modes a pu apparaître et disparaître. D’autant plus que cette phrase vient après « les caprices de la mode ».
Dans le second paragraphe, l’auteur explique qu’une mode suit une autre rapidement et de manière continuelle. Pour se faire, il utilise l’image d’une description sur « leur habillement et [...] leurs parures » où l’on note l’expression du temps avec « une mode nouvelle » et « avant que tu eusses reçu ma lettre ». De plus la forte ponctuation (virgules), qui articule la pensée de l’auteur, les articulateurs logiques (« que », « et », « comme ») et le futur hypothétique avec « viendrait » (conditionnel) et « serait changé » (futur antérieur), donne une idée de mouvement autour de la mode.
Dans le paragraphe suivant (le troisième), Montesquieu donne un nouvel exemple avec une femme qui quitte Paris pendant « six mois » et revient « antique » comme si elle était partie durant « trente ans ». Cette exagération due à l’articulateur « que » appuie l’idée de changements continuels de la mode parisienne.
Dans le quatrième paragraphe, l’auteur dépeint les différentes modes autour des coiffes et des talons tout en utilisant des connecteurs temporels comme « quelquefois », « autrefois », « souvent ». Le temps se manifeste aussi par « une révolution » (événement historique), « un temps », « dans un autre » (situation temporel indéfinie), « le lendemain », « aujourd’hui », « tout à coup » etc. qui insistent sur le changement au cours du temps. Celui-ci se remarque aussi par « cette changeante nation » et une comparaison entre les générations avec « les filles se trouvent autrement faites que leurs mères ». De plus, ce paragraphe mêle une très importante ponctuation qui donne au texte un rythme binaire (points, virgules, points-virgules, points d’interrogations, deux points...). Le ton et le rythme changeant se manifeste aussi avec la présence de nombreux « et ».
Ainsi, Montesquieu dépeint les fantaisies de la mode parisienne par le biais d’expressions, d’articulateurs logiques, d’une forte ponctuation et d’un rythme soutenu dont le but est de donner l’impression d’une mode en continuelle mutation. Mais peut-on parler d’une caricature de la vie parisienne ? C’est ce que nous verrons dans un second temps.
La première image ironique que nous pouvons remarquer dans cette lettre se situe à la fin du premier paragraphe avec « Ils ont oublié [...] ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver. » On remarque en effet une hyperbole avec l’emploi de « encore plus » qui, mêlé à la mise en relation de l’été et de l’hiver, accentue la caricature de la superficialité parisienne.
« Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode ». L’aspect humoristique de cette phrase repose sur « Mais, surtout », connecteur qui laisse à penser que la suite est grave tandis que la vérité est inverse. En effet, la phrase repose sur l’argent avec « il en coûte », bien matériel qui ne justifie pas l’emploi de « surtout ».
L’exagération se manifeste aussi avec l’emploi du terme « antique » dans « Une femme qui quitte Paris [...] aussi antique que si elle s’y était oubliée trente ans. » « Antique » nous fait en effet penser à quelque chose d’extrêmement ancien, chose qui n’est pas le cas pour une femme passée de mode.
On remarque aussi l’amplification avec « le fils méconnaît le portrait de sa mère [...] de ses fantaisies ». Le fait qu’un fils ne reconnaisse pas sa mère à cause de ses vêtements paraît tellement disproportionné que l’image prête à sourire et à étonner.
« Quelques fois [...] tout à coup » Par cette image, Montesquieu se rie des coiffes, créant dans cette phrase l’idée d’une coiffure qui monte et descend au fil des événements. L’effet produit est comique.
« Il a été un temps [...] un piédestal qui les tenait en l’air ». L’humour et l’ironie se ressent à nouveau dans cette partie où l’auteur s’amuse des hauteurs de coiffures et de talons. « Une femme au milieu d’elle-même » relève de l’exagération tandis qu’on remarque une métaphore avec « un piédestal », comparaison implicite entre les talons et une construction réputée haute.
« Les architectes ont été souvent obligés de hausser [...] ces caprices » Dans cette citation, l’exagération se ressent par la présence de termes comme « obligés », « exigeaient » et « asservies ». L’auteur décrit avec humour tout ce que les caprices de la mode engendrent sur le paysage parisien.
« On voit quelquefois [...] et elles disparaissent toutes le lendemain ». Les mouches, sorte de points de beauté artificiels, sont ici peintes en « quantité prodigieuse » sur un même visage. Cette image est une nouvelle exagération. De plus, l’autre sens du mot mouche, l’insecte, nous donne l’impression de grouillement.
« Autrefois, les femmes avaient de la taille et des dents [...] pas question ». Cette phrase est une comparaison entre deux générations, entre les femmes « d’autrefois » et celles « d’aujourd’hui ». L’ironie est présente ici par le fait qu’il n’est pas question qu’aujourd’hui, les femmes aient de la taille et des dents. On s’imagine ainsi des femmes dénaturées.
« Aujourd’hui » ainsi que les verbes au présent ont une valeur de vérité générale.
Ainsi, Montesquieu nous propose une caricature des fantaisies de la mode parisienne par le biais d’exagérations, de l’ironie, de certains verbes au présent de vérité général et du comique de scène. Cependant, le dernier paragraphe interpelle le lecteur par sa différence. Celle-ci même que nous allons maintenant étudier.
Montesquieu décrit au cours des quatre premiers paragraphes de la lettre un sujet léger qu’est la mode parisienne. Il se met subitement, au dernier paragraphe, à s’en prendre au roi et aux français, qu’il critique ouvertement.
On note en effet dans cette courte partie la mise en relation entre le peuple et le roi. « les français changent [...] leur roi », « le monarque [...] la nation », « le Prince [...] la Cour [...] la Ville [...] aux provinces ». On remarque ainsi plusieurs critiques.
Dans « les Français changent de mœurs suivant l’âge de leur roi », l’auteur s’en prend à Louis XIV, roi de France qui resta sur le trône de nombreuses années. Mais Montesquieu critique aussi la superficialité du peuple, expliquant que la personnalité des uns est fonction de celle du roi. Il rabaisse ensuite ce dernier au statut de « prince », du latin « princeps » et qui signifie premier citoyen. Il dévalue ainsi son rôle d’envoyé de Dieu.
On note aussi une gradation où Montesquieu explique que le roi transmet sa personnalité à la Cour (ses sujets), puis à la Ville (Paris, puisque on note l’utilisation d’une majuscule à « Ville ») puis enfin aux provinces. On peut s’imaginer que cette construction induit que la Cour représente la noblesse, la Ville évoque la bourgeoisie et les provinces symbolise le Tiers Etat. Par ce schéma, toute la société est critiquée, du roi jusqu’aux travailleurs.
La lettre s’achève sur « L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres », phrase qui laisse à penser que l’auteur considère le peuple comme des marionnettes qui tiennent leurs personnalité de celle du roi.
Ainsi, on a vu que l’auteur caricature les fantaisies de la mode parisienne par une lettre satirique. Mais celui-ci ne s’arrête pas là, il va jusqu’à s’en prendre au roi et au peuple. En effet, la description d’un sujet léger lui permet de surprendre et de considérer efficacement ce qu’il juge superficiel.
D’autres auteurs ont critiqué le roi comme notamment Voltaire dans L’Ingénu.
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