Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 août 2009 1 03 /08 /août /2009 15:24



Texte étudié :


« Tant de raisonneurs ayant fait le roman de l’âme, un sage est venu qui en a fait modestement l’histoire. Locke a développé à l’homme la raison humaine, comme un excellent anatomiste explique les ressorts du corps humain. Il s’aide partout du flambeau de la physique; il ose quelquefois parler affirmativement, mais il ose aussi douter. Au lieu de définir tout d’un coup ce que nous ne connaissons pas, il examine par degrés ce que nous voulons connaître. Il prend un enfant au moment de sa naissance, il suit pas à pas les progrès de son entendement; il voit ce qu’il a de commun avec les bêtes, et ce qu’il a au-dessus d’elles; il consulte surtout son propre témoignage, la conscience de sa pensée. 

« Je laisse, dit-il, à discuter à ceux qui en savent plus que moi, si notre âme existe avant ou après l’organisation de notre corps; mais j’avoue qu’il m’est tombé en partage une de ces âmes grossières qui ne pensent pas toujours, et j’ai même le malheur de ne pas concevoir qu’il soit plus nécessaire à l’âme de penser toujours qu’au corps d’être toujours en mouvement. » 

Pour moi, je me vante de l’honneur d’être en ce point aussi simple que Locke. Personne ne me fera jamais croire que je pense toujours; et je ne me sens pas plus disposé que lui à imaginer que quelques semaines après ma conception j’étais une fort savante âme, sachant alors mille choses que j’ai oubliées en naissant, et ayant fort inutilement possédé dans l’uterus des connaissances qui m’ont échappé dès que j’ai pu en avoir besoin, et que je n’ai jamais bien pu reprendre depuis. 

Locke, après avoir ruiné les idées innées, après avoir bien renoncé à la vanité de croire qu’on pense toujours, ayant bien établi que toutes nos idées nous viennent par les sens, ayant examiné nos idées simples, celles qui sont composées, ayant suivi l’esprit de l’homme dans toutes ses opérations, ayant fait voir combien les langues que les hommes parlent sont imparfaites, et quel abus nous faisons des termes à tout moment; Locke, dis-je, considère enfin l’étendue, ou plutôt le néant des connaissances humaines. C’est dans ce chapitre qu’il ose avancer modestement ces paroles: Nous ne serons peut-être jamais capables de connaître si un être purement matériel pense ou non.

Ce discours sage parut à plus d’un théologien une déclaration scandaleuse que l’âme est matérielle et mortelle. Quelques Anglais, dévots à leur manière, sonnèrent l’alarme. Les superstitieux sont dans la société ce que les poltrons sont dans une armée: ils ont et donnent des terreurs paniques. On cria que Locke voulait renverser la religion: il ne s’agissait pourtant point de religion dans cette affaire; c’était une question purement philosophique très indépendante de la foi et de la révélation; il ne fallait qu’examiner sans aigreur s’il y a de la contradiction à dire: La matière peut penser, et Dieu peut communiquer la pensée à la matière. Mais les théologiens commencent, trop souvent par dire que Dieu est outragé quand on n’est pas de leur avis. »


Lecture Analytique

En 1726, une dispute oppose François-Marie Arouet dit Voltaire avec le chevalier de Rohan. Plein de mépris et d’amertume pour ce bourgeois sans nom, le philosophe voudrait une réparation par les armes. Mais une lettre l’envoie à la Bastille pour méditer ce qu’il en coûte à un roturier de s’en prendre à un gentilhomme. Peu après, il sera autorisé à s’exiler en Angleterre où penser n’est pas un crime. De son voyage naîtra les Lettres philosophiques, « première bombe lancée contre l’ancien régime » (selon Lanson).

 

Dans l’extrait suivant de la lettre XIII intitulé « Sur Locke », Voltaire entreprend un travail de vulgarisation de la science. Aussi pouvons-nous nous demander comment le philosophe s’y prend-il pour banaliser le progrès, qui fait tant peur aux croyants.

 

Nous analyserons dans un premier temps la dimension polémique de l’œuvre en notant la manière que Voltaire a d’exprimer ses opinions, son empathie et son antipathie. Puis nous porterons notre attention sur le travail de banalisation, remarquable par le goût que l’auteur a pour les sciences, ainsi que par l’accusation que celui-ci fait du religieux.

 

I. Une œuvre polémique...

 

A. Exposition des opinions philosophiques de Voltaire

 

  • Un texte structuré :

 

- Au paragraphe 1 (1 à 8) : Présentation du sujet de la lettre : le philosophe anglais John Locke et ses travaux.

- Au paragraphe 2 (9 à 12) : Illustration des propos tenus dans le 1er § par une citation extraite de Essai philosophique concernant l’entendement humain (1690). Voltaire intègre dans son texte une première idée philosophique : Quand la pensée se manifeste t-elle chez l’homme ? Peut-on penser continuellement ?

- Au paragraphe 3 (13 à 18) : Prise de position de Voltaire : ce dernier partageant les idées de Locke.

- Au paragraphe 4 (19 à 23) : L’auteur résume une seconde idée issue du philosophe anglais ; pour lui, les idées proviennent des sens.

- Au paragraphe 5 (24 à 26) : Troisième idée avancée par Voltaire par le biais d’une citation de Locke : Est-ce que la matière est-elle douée de pensée ?

- Au paragraphe 6 (27 à 28) : L’auteur compare l’idée énoncée avec celles des théologiens.

- Au paragraphe 7 (29 à 35) : Voltaire prend dans ce dernier paragraphe, position contre la religion et accuse les religieux de paniquer devant le progrès.

On remarque aussi l’utilisation de la première personne du singulier pour caractériser Voltaire ce qui montre que celui-ci s’implique clairement dans la défense de ses idées, ainsi que la troisième personne du singulier pour désigner Locke. Le principal temps de ce récit est le présent de l’indicatif qui est aussi utilisé pour décrire les expériences de Locke, bien que celui-ci soit déjà mort. Ce temps donne cependant plus de dynamisme au texte. Par ailleurs, bien que les phrases descriptives soient majoritairement longues, on note la présence de « ; », « , » et de « : » qui permettent à Voltaire de bien articuler sa pensée pour que le lecteur puisse la suivre au mieux. Même chose avec la présence d’articulateurs logiques comme « et », « mais », « toujours », « au lieu de », « après avoir » etc.

 

  • Des thermes incisifs

 

Le langage choisi par Voltaire, trahis les opinions de celui-ci. En effet, nous pouvons remarquer l’utilisation de nombreuses expressions péjoratives :

- « Tant de raisonneurs ayant fait le roman de l’âme... » (l.1) Les « raisonneurs » sont des penseurs dont les idées ne sont pas tangible. De plus, on peut noter une périphrase avec « le roman de l’âme » qui désigne les livres saints. Cependant, le terme « roman » insiste sur le fait que ces ouvrages soient de l’ordre de la fiction. Il s’agit donc d’une dépréciation de la religion.

- « au lieu de définir tout d’un coup ce que nous ne connaissons pas » (l.5) Nouvelle attaque de la religion. Pour Voltaire, les écrits religieux ne sont pas tangibles tout comme pour Locke avec : « Je laisse à discuter à ceux qui en savent plus que moi si notre âme existe avant ou après l’organisation... » (l.9). Pour ces philosophes, le religieux n’a que peut d’intérêt.

- « je me vante de l’honneur d’être en ce point aussi stupide que Locke » (l.13) Cette courte phrase met l’accent sur les opinions que Voltaire partage avec Locke. L’utilisation du qualificatif « stupide » donne davantage de poids à cette affirmation, ce qui laisse à penser que l’auteur désirait lors de sa rédaction, à choquer ses lecteurs.

- « j’étais une fort savant âme [...] j’ai pu en avoir besoin », utilisation de l’ironie pour dégrader la parole des théologiens.

- « Locke, après avoir ruiné les idées innées » (l.19) L’auteur porte ici atteinte aux théories de Descartes, pour qui les idées vraies sont innées. On note l’utilisation du verbe « ruiner » qui donne de l’impact à cette argumentation.

- « le néant des connaissances humaines » (l.24) Par cette expression, Voltaire s’en prend à l’esprit humain qui selon lui, est très limité.

- « Les superstitieux sont dans la société de que les poltrons sont dans une armée ; ils ont, et donnent des terreurs paniques » (l.30) Il s’agit d’une très nette dépréciation de l’esprit humain. A l’époque, l’une des plus grandes superstitions était de désobéir à Dieu. La recherche faisant parti de ce qui pourrait agacer le créateur, elle est vivement condamné par les théologiens (eux même le sont par Voltaire).

 

  • Voltaire : Un philosophe plus acerbe que son homologue anglais

 

Dans les citations de Locke, on remarque que le philosophe anglais ne semble pas être aussi catégorique que Voltaire.

- « Je laisse à discuter à ceux qui en savent plus que moi si notre âme existe avant ou après l’organisation [...] toujours en mouvement » Dans cette citation, Locke n’accuse pas explicitement la religion de créer une vérité irrationnel comme peut le faire Voltaire dans son texte. Au contraire, il dit juste ne pas s’intéresser au religieux pour mieux chercher l’origine scientifique de la pensée. Cette dernière est appelée « âme », il s’agit peut-être là d’une parade pour éviter la polémique en adoptant la conception de la pensée religieuse.

- « Nous ne serons jamais peut-être capables de connaître si un être purement matériel pense ou non. » Cette phrase est structurée de telle manière que le message semble moins prêter à la discorde que celui de Voltaire (où celui-ci parle du « néant des connaissances humaines »). Ceci est en parti dû à l’utilisation de la préposition « peut-être » qui introduit une concession.

 

Ainsi cet extrait appartient au registre polémique. Voltaire dénonce explicitement le frein au progrès intellectuel dû à la superstition. Pour se faire, il utilise les théories de Locke et structure son texte pour que ce dernier soit plus percutant.

 

B. Locke : Un philosophe éclairé contre l’obscurantisme religieux

 

  • Locke : un philosophe encensé

 

Lorsqu’il parle de Locke, Voltaire utilise un champ lexical très mélioratif :

- « un sage » Répété deux fois dans le texte, ce terme montre la sagesse, l’équilibre et la mesure du philosophe.

- « modestement » La modestie montre que Locke ne cherche pas à s’opposer clairement à la religion, mais tente plus humblement de chercher des solutions philosophiques.

- « un excellent anatomiste » Référence à l’anatomie, discipline qui exige des soins et de la méthode, et qui est très mal vue par les théologiens.

- « Il s’aide partout du flambeau de la physique » Le flambeau est l’image des Lumières et la démocratisation de la science fait partie de la lutte des philosophes pour le progrès.

- « Il ose quelquefois parler affirmativement, mais il ose aussi douter ». Le verbe « oser » montre que Locke sait que ses théories sont anticléricales. Il ne semble pourtant pas être catégorique dans ses avancements.

- « je me vante de l’honneur d’être aussi stupide que Locke » Litote obtenue par l’utilisation du mot stupide qui, dans le contexte de la phrase, signifie l’inverse du sens présupposé.

- « ...après avoir bien renoncé à la vanité » Locke ne semble donc pas être orgueilleux, et avance ses théories en toute modestie.

Ainsi, John Locke est véritablement encensé par Voltaire.

 

  • Une mise en relation entre la philosophie et le religieux

 

Locke est décrit dans ce texte comme un sage, modeste, dénué de vanité, qui prône la science et la méthode. Cependant, Voltaire va plus loin : Il met en relation la logique scientifique avec l’irrationnel religieux.

- « Tant de raisonneurs ayant fait le roman de l’âme, un sage est venu, qui en a fait modestement l’histoire » La dépréciation de la religion est mise en relation avec la sagesse et la modestie du philosophe anglais dont le travail fut de chercher le rationnel de l’âme humaine. On remarque une antithèse entre les termes « roman » (qui rappel la fiction) et « histoire » (qui se base sur des faits réels).

- « ...au lieu de définir tout d’un coup ce que nous ne connaissons pas, il examine par degrés ce que nous voulons connaître. » Par cette phrase, Voltaire met en relation l’irrationnel religieux avec la science tangible de Locke.

- « ...l’honneur d’être en ce point aussi stupide que Locke. Personne... » Mise en relation du nom du philosophe avec un nom commun, « personne », qui fait référence aux « raisonneurs ».

- « Ce discours sage est parut à plus d’un théologien une déclaration scandaleuse que l’âme est matérielle et mortelle. » Opposition des termes « sage » et « scandaleuse » (anaphore).

- « Mais les théologiens commencent trop souvent par dire que Dieu est outragé quand on n’est pas de leur avis » Présence du pronom personnel « on » qui fait référence à Voltaire, Locke ainsi qu’à tout ceux qui s’oppose aux idées religieuses. Très nette dépréciation des théologiens : pour Voltaire, ils tentent d’embrigader la population.

 

Ainsi, nous avons pu voir que par sa lettre, Voltaire fait l’éloge de la science et critique de manière catégorique l’obscurantisme religieux. Il reprend les idées de Locke qu’il met en relation avec celles des théologiens. Pour lui, seul la science est de source tangible.

 

Nous avons ainsi pu voir la dimension polémique de cette lettre, mais quand est-il du message et du but de celle-ci ? C’est ce que nous nous efforcerons d’étudier dans un second temps.

 

II. ...qui banalise le savoir

 

A. La banalisation du savoir

 

Par cette lettre consacrée au philosophe anglais Locke ainsi qu’à ses travaux, Voltaire entreprend un véritable travail de vulgarisation de la science et du progrès :

- « ...un sage est venu, qui en a fait modestement l’histoire » Voltaire parle ici de « l’histoire » de l’âme, banalisant ainsi le travail de Locke à une simple recherche de faits.

- « Locke a développé à l’homme la raison humaine comme un excellent anatomiste explique les ressorts du corps humain » L’anatomie est à l’époque très mal vue. Voltaire en parle comme s’il s’agissait d’une pratique courante.

- « Il s’aide partout du flambeau de la physique [...] il consulte surtout son propre témoignage, la conscience de sa pensée. » L’auteur décrit ici le cheminement intellectuel de Locke quand celui-ci cherche à résoudre une question philosophique. Cette description permet d’informer le lecteur, pour que celui-ci sorte de son ignorance sur ce sujet et permet de penser librement. Rien ne semble être une injure à Dieu dans ces travaux. On note aussi un parallélisme syntaxique  formait par la répétition de « il » avant chaque proposition, ce qui donne une rythmique au texte.

- « Locke, après avoir ruiné les idées innées [...] et quel abus nous faisons des termes à tous moments. » Par ce §, Voltaire explique que le travail de Locke consiste uniquement à suivre l’esprit humain pour en montrer les lacunes. L’utilisation du terme « examine » (du latin « examinare » qui signifie « peser, mettre en équilibre ») montre que Locke a uniquement un rôle d’observateur.

- « il ose avancer modestement ces paroles » La modestie de Locke, déjà remarquée par l’absence de « vanité », couplée avec le verbe « oser » montre que le philosophe affirme sans chercher à mettre le désordre dans les esprits.

- « Les superstitieux sont dans la société ce que les poltrons sont dans une armée ; ils ont, et donnent des terreurs paniques » Cette comparaison entre la superstition et la peur de la mort souligne que la terreur des théologiens n’est fondée que sur l’irrationnel. En effet, la plus grande superstition était d’avoir la peur de déplaire à Dieu. Pour Voltaire, cette frayeur de la science est condamnable.

- « On cria que Locke voulait renverser la religion [...] et si Dieu peut communiquer la pensée à la matière. » Dans le dernier §, tout le travail de banalisation du progrès par l’auteur se résume ici. On note la relation entre les termes « foi », « religion », « révélation » et le mot « philosophique », ainsi qu’une négation suivit d’une affirmation : « il ne s’agissait pourtant point de la religion [...] c’était une question purement philosophique ». Voltaire explique ici que Locke n’est qu’un scientifique qui ne cherche que des solutions sans pour autant vouloir s’en prendre à la religion.

 

 

B. La religion : Un obstacle au progrès

 

- On note aussi la présence d’un large champ lexical de l’esprit avec : « stupide », « croire », « pense », « imaginer », « oubliées », « savante », « connaissances », « rapprendre », « idées », « l’esprit », « connaître », « avis », « raisonneurs », « sage », « raison », « entendement », « témoignage », « conscience », « pensée » etc. Tous ces termes font référence à l’intellect et font de la philosophie, la discipline du sage.

- « au lieu de définir tout d’un coup ce que nous ne connaissons pas », Voltaire dégrade les paroles religieuses qui sont pour lui de l’ordre de l’imaginaire.

- « personne ne me fera jamais croire que je pense toujours » Impression d’obstacle due au fait que des personnes (les théologiens) cherchent à imposer leurs conceptions.

- « j’étais une fort savant âme [...] j’ai pu en avoir besoin », utilisation de l’ironie pour dégrader la parole des théologiens (comme vu précédemment).

- « Locke, après avoir ruiné les idées innées... » Cette citation donne l’idée d’une destruction par Locke, de l’obstacle précité.

- « Les superstitieux sont dans la société ce que les poltrons sont dans une armée, ils ont, et donnent des terreurs paniques. » ainsi que « Mais les théologiens commencent trop souvent par dire que Dieu est outragé quand on n’est pas de leur avis » Accusation limpide de la religion. Pour Voltaire, elle est un obstacle à la liberté de pensée, ainsi qu’à la démocratisation de la science et du progrès.

 

Ainsi Voltaire s’oppose à l’obscurantisme religieux par une lettre polémique. La banalisation de la science se fait sur plusieurs niveaux : par une description méthodique des travaux de Locke ainsi que par une condamnation de la rigueur d’esprit des théologiens. Cet écrit vaudra à Voltaire une nouvelle lettre à cachet. Pour échapper à l’emprisonnement, l’auteur s’exilera en Lorraine.

Nous aurions pu étudier le rôle de ce texte dans le mouvement philosophique et littéraire des Lumières.

D’autres auteurs ont critiqué l’obscurantisme religieux comme la notamment fait Denis Diderot avec Additions aux Pensées philosophiques écrit en 1762. Il y est inscrit la réplique suivante qui prouve l’antipathie de l’homme pour les théologiens :

« Egaré dans la forêt immense pendant la nuit, je n’ai plus qu’une petite lumière pour me conduire. Survient un inconnu qui me dit : Mon ami, souffle la chandelle pour mieux trouver ton chemin. Cet inconnu est un théologien. »

Partager cet article
Repost0
3 août 2009 1 03 /08 /août /2009 15:13



Texte étudié


"La raison est à l'égard du philosophe, ce que la grâce est à l'égard du chrétien. La grâce détermine le chrétien à agir; la raison détermine le philosophe.

Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils font soient précédées de la réflexion: ce sont des hommes qui marchent dans les ténèbres; au lieu que le philosophe dans ses passions mêmes, n'agit qu'après la réflexion; il marche la nuit, mais il est précédé d'un flambeau.

La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, & qu'il croie trouver partout; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l'appercevoir, Il ne la confond point avec la vraisemblance; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pour douteux ce qui est douteux, & pour vraisemblable ce qui n'est que vraisemblable. Il fait plus, & c'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif propre pour juger, il fait demeurer indéterminé.

L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation & de justesse, qui rapporte tout à ses véritables principes; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin son attention & ses soins.

L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer, ou dans le fond d'une forêt: les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaire; & dans quelqu'état où il puisse se trouver, ses besoins & le bien être l'engagent à vivre en société. Ainsi la raison exige de lui qu'il connoisse, qu'il étudie, & qu'il travaille à acquérir les qualités sociables.

Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde; il ne croit point être en pays ennemi; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre; il veut trouver du plaisir avec les autres: & pour en trouver, il en faut faire: ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le hasard ou son choix le font vivre; & il trouve en même tems ce qui lui convient: c'est un honnête homme qui veut plaire & se rendre utile.

La plupart des grands à qui les dissipations ne laissent pas assez de tems pour méditer, sont féroces envers ceux qu'ils ne croient pas leurs égaux. Les philosophes ordinaires qui méditent trop, ou plutôt qui méditent mal, le sont envers tout le monde; ils fuient les hommes, & les hommes les évitent. Mais notre philosophe qui sait se partager entre la retraite & le commerce des hommes, est plein d'humanité. C'est le Chrémès de Térence qui sent qu'il est homme, & que la seule humanité intéresse à la mauvaise ou à la bonne fortune de son voisin. Homo sum, humani à me nihil alienum puto.

Il seroit inutile de remarquer ici combien le philosophe est jaloux de tout ce qui s'appelle honneur & probité. La société civile est, pour ainsi dire, une divinité pour lui sur la terre; il l'encense, il l'honore par la probité, par une attention exacte à ses devoirs, & par un désir sincère de n'en être pas un membre inutile ou embarrassant. Les sentimens de probité entrent autant dans la constitution méchanique du philosophe, que les lumières de l'esprit. Plus vous trouverez de raison dans un homme, plus vous trouverez en lui de probité. Au contraire où règne le fanatisme & la superstition, règnent les passions & l'emportement. Le tempérament du philosophe, c'est d'agir par esprit d'ordre ou par raison; comme il aime extrêmement la société, il lui importe bien plus qu'au reste des hommes de disposer tous ses ressorts à ne produire que des effets conformes à l'idée d'honnête homme. "


Lecture Analytique


Extrait de l’article « Philosophe » écrit par Dumarsais pour l’Encyclopédie, ce texte sort de sa fonction didactique pour peindre un portrait élogieux, dénué d’objectivité, de la philosophie des Lumières. Grammairiens de profession, César Chesneau Dumarsais (1676-1756) fut notamment connu pour son ouvrage de rhétorique intitulé : Traité des tropes. L’article suivant commandé à Dumarsais par Diderot et d’Alembert n’est pas de toute évidence un article d’encyclopédie, mais semble davantage être un texte polémique faisant l’éloge des philosophes du XVIIIème.

Aussi pouvons-nous nous demander comment Dumarsais s’y prend-il pour encenser les penseurs dans un recueil dont le but principal est d’instruire de manière objective.

Nous analyserons dans un premier temps les louanges que l’auteur fait de ses amis, avant de porter notre attention sur la comparaison que Dumarsais établi entre les philosophes et les hommes.

 

I. Un portrait élogieux structuré

 

- Dans le premier paragraphe, Dumarsais expose son idée force : la raison du philosophe est une chose sacrée.

- Dans le deuxième paragraphe, l’auteur met en relation le penseur avec les autres hommes pour accentuer le rôle de celui-ci. Il utilise la métaphore du flambeau pour caractériser la pensée du philosophe, et n’hésite pas à la mettre en relation avec l’obscurité, démontrant ainsi le rôle de guide du théoricien (antithèse).

- Dans le troisième paragraphe, le grammairien explique que la vérité découle chez le philosophe, d’une étude minutieuse, celui-ci cherchant à être objectif. On note une métaphore avec la « maîtresse », ce qui implique que le penseur ne reçoit pas ses informations d’une tierce personne, mais recherche des faits à la source. Il y a aussi un parallélisme syntaxique visant à accentuer les qualités énoncées.

- Le 4ème § est une transition visant à résumé les idées développées (pour mieux les accentuer) tout en faisant un parallèle avec la suite de l’argumentaire. Les philosophes est décrit comme étant méticuleux et équilibré.

- Le 5ème § explique que le philosophe est sociable, et se mêle à la société pour mieux la comprendre. Présence d’une antithèse entre le penseur et la bête. Celle-ci n’étant pas doué de pensée, et ne partageant pas la vie sociale.

- Le 6ème § commence par « notre », ce qui implique que Dumarsais cherche à le placer plus près des lecteurs et donc du peuple. Ainsi, il est comme « nous ». Le philosophe est ici représenté comme un honnête homme, sage et utile. Il fait une étude équilibrée de la société pour l’aider à se développer au mieux.

- Le 7ème § décrit le philosophe comme plein d’humanité : celui-ci ne se retranchant par, et ne critiquant pas la société. Dumarsais semble ici banaliser le travail des penseurs de son époque.

- Le 8ème § montre l’amour que le théoricien a pour la société qu’il cherche à faire s’améliorer, sans pourtant lui nuire. Le terme jaloux met l’accent sur les défauts que ce dernier peut avoir. Il répète ensuite dans ce même § ces idées principales, en faisant intervenir la superstition qui est pour lui condamnable.

- On note aussi l’utilisation du présent de vérité générale, tandis que le subjonctif sert à mettre en avant des hypothèses tout comme les marques de concessions repérables par « mais »...

- On trouve aussi des articulateurs logiques et une forte ponctuation pour que le lecteur puisse suivre les pensées du théoricien. Tandis que la présence de figures de style, de répétitions (le terme philosophe étant de très nombreuse fois répété) et de parallélisme syntaxique, servent à la fois à banaliser le travail du penseur (on le cite plusieurs fois pour inhiber son aspect dangereux aux yeux de tous) et pour mettre l’accent sur les qualités de ces derniers.

Le philosophe est perçu par Dumarsais comme l’œil externe de la société. Externe ? Pas tout à fait car selon l’auteur, le penseur sait aussi bien prendre congé de la société pour mieux l’analyser que s’incérer à elle et ainsi la comprendre au mieux. Toutefois, ses idées sont toujours emprises d’objectivité et d’équilibre, et son là pour améliorer la société civile, et non  la dénigrer. Il se compose alors de qualités intellectuelles et sociales.

 

Ainsi nous avons vu la manière élogieuse qu’empreinte Dumarsais pour définir le philosophe. Mais pourquoi le compare t-il aux hommes ? C’est ce que nous verrons dans un second temps.

 

II. Une comparaison entre le philosophe et les hommes 

 

- « La raison [...] le philosophe » par cette 1ère phrase, Dumarsais distingue le philosophe des chrétiens et des superstitieux ; lui possédant un atout : la raison.

- « les autres hommes », avec « autres » mit pour marquer la différence.

- « ce sont des hommes [...], au lieu que le philosophe... » Nouvelle démarcation : le philosophe est le guide du genre humain.

- 5ème § : Comme l’homme, le philosophe vit en société et s’en imprègne pour mieux l’étudier.

- « Notre philosophe... » Le philosophe est vu ici comme un semblable qui à pour atout d’aider/guider le tout humain.

- « c’est un honnête homme qui veut plaire et se rendre utile » on note ici une banalisation du philosophe qui, selon Dumarsais, est un homme tout ce qu’il y a de plus humain, qui possède néanmoins de nombreuses qualités.

- « ils fuient les hommes, et les hommes les évitent » Dumarsais explique ici qu’une minorité de philosophes sont anachorètes, mais pas tous...il invite le lecteur à ne pas faire de généralité.

- « mais notre philosophe [...] est plein d’humanité » Une nouvelle fois, l’auteur insiste sur le fait que le philosophe est une personne normal, qui pense cependant différemment.

- « Homo sum, humani a me nihil alienum puto » même chose redite avec plus d’esprit.

- « le philosophe est jaloux » il a donc des défauts ; ainsi il est humain.

- « la société civile est [...] une divinité » il aime les hommes et cherche à parfaire la société.

- « il lui apporte bien plus qu’au reste des hommes » le philosophe a pour but de donner les « ressorts à  ne produire que des effets conformes à l’idée d’honnête homme ».

De ce fait le philosophe est comparé à l’Homme pour mieux montrer le fait qu’il en soit lui-même un qui toutefois, pense différemment et  a pour but de faire avancer la société.

 

Ainsi, nous avons vu que Dumarsais à une façon bien particulière de définir le philosophe : il fait un éloge du penseur en accentuant sur ses qualités avant de le mettre en relation avec les hommes et ce, pour mieux banaliser ses travaux.

Nous aurions pu voir la place de ce texte dans le mouvement des Lumières.

Nous remarquons qu’aujourd’hui, le philosophe est encore présent, comme par exemple Jean-Marie Gustave Le Clézio qui, comme ses homologues du XVIII siècle ou encore Bouddha, cherche le bonheur enfoui dans la mémoire humaine.

Partager cet article
Repost0
3 août 2009 1 03 /08 /août /2009 15:08



Poème sur le désastre de Lisbonne (1756)

 

Ô malheureux mortels ! ô terre déplorable !
Ô de tous les mortels assemblage effroyable!
D'inutiles douleurs éternel entretien !
Philosophes trompés qui criez: "Tout est bien",
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours!
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous: "C'est l'effet des éternelles lois
Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix"?
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :
"Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes"?
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants?
Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices ?
Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages :
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.
Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes
Ma plainte est innocente et mes cris légitimes. [...]

 

Voltaire



« Un jour, tout sera bien, voilà notre espérance

Tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion »

Poème sur le désastre de Lisbonne

 

Le 1er novembre 1755, un violent séisme ravage la ville de Lisbonne, faisant plus de 30000 victimes et provoquant un immense choc dans la sensibilité philosophique du XVIII°siècle. Cette catastrophe obsédera Voltaire qui, ayant une soixantaine d’année, manifestera son mépris envers les théories optimistes de Leibniz. Le penseur éclairé va alors se lancer dans un nouveau combat où il dénoncera le rôle de la providence tout en exprimant sa sensibilité. Ainsi naîtra Poème sur le désastre de Lisbonne.

Aussi pouvons-nous nous demander comment Voltaire s’y prend-il pour faire passer son message.

Nous verrons dans un premier temps la dimension pathétique, avant de porter notre attention sur l’aspect polémique de ce texte.

 

I. Un poème bouleversant

 

Nous pouvons tout d’abord noter la présence d’un important champ lexical de la tristesse avec :

- « Ô malheureux mortels ! ô terre déplorable ! » (1) « Malheureux » est un adjectif prenant racine dans l’assemblage des termes « mal » et « heur ». L’heur étant une chance favorable, le préfixe « mal » donne à « malheureux » une signification se rapportant à l’adjectif « malchanceux ». L’adjectif « déplorable » provient du nom « pleur » auquel on a rajouté « dé » (marquant l’éloignement) et « able » (touche négative) donnant ainsi une signification proche de la lamentation.

- « D’inutiles douleurs éternel entretien ! » (3) Le nom « douleur » provient du latin « dolor » signifiant « une émotion morale pénible ».

- « Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses » (6) Nouvelle utilisation de l’adjectif « malheureux » déjà aperçu dans la première ligne.

- « Cent mille infortunés que la terre dévore » (9) « Infortunés » provient du mot « fortune » signifiant « la chance ». Le terme veut ainsi signifier le manque de chance que l’on a déjà pu voir avec malheureux. De plus, on remarque une hyperbole avec « cent mille infortunés ». 60000 individus ont en effet trouvé la mort dans le désastre.

- « Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours » (12) « lamentable » vient du verbe « lamenter » ce qui fait aussi référence au pathétique de la scène.

 - « Vous pleurez comme nous » (28) nouvelle marque du pathétique. « Nous » implique l’auteur qui exprime ainsi sa sensibilité.

- « Ma plainte est innocente » (30) Le nom « Plainte » rappel le pathétique avec « ma » qui comme pour « nous », implique que Voltaire est engagé.

D’autre part, un champ lexical de la terreur se remarque aussi :

- « assemblage effroyable » (2) marquant l’effroi ressenti lors de la vue des conséquences du désastre.

- « ces ruines affreuses » (5) Même chose, on remarque un nouvelle fois l’effroi.

- « que la terre dévore » (9) personnification mettant en relief l’aspect terrible du cataclysme.

- « palpitants encore » (10) Ce vers montre la souffrance ressenti par les victimes qui va au-delà de la souffrance physique. Ceux-là sont en effet terrorisés.

- « Enterrés sous leurs toits » (11) On note ici que Voltaire avait une phobie de l’écrasement.

- « Dans l’horreur des tourments » (12) Les termes « horreurs » et « tourments » montrent une nouvelle fois la peur ressentie par les victimes.

- « Au spectacle effrayant » (14) Marque de l’effroi.

- « mes cris légitimes » mit en relation avec « aux cris demi-formés » montre que Voltaire pousse les cris que les victimes du sinistre n’ont pu poussé.

On note aussi que le désastre semble toucher tout les sens, aussi bien l’ouïe (avec « aux cris demi-formés de leurs voix expirantes »), la vue (« contemplez ces ruines affreuses »), le touché (« ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses », « quand vous sentez les coups »), l’odorat bien que ce sens n’est pas un grand rôle à jouer dans le désastre (« vous sentez les coups » bien que cette citation est sans doute mise pour les coups physiques, « leurs cendres fumantes » même s’il ne l’est pas explicitement indiqué, les corps brûlés doivent sentir une odeur affreuse ) et le goût (avec l’antithèse « plongés dans les délices » qui s’oppose avec « Lisbonne est abîmée »).

- On note aussi une opposition entre « entassés » et « dispersés » pour montrer l’étendue de la fatalité qui s’est abattu sur Lisbonne.

Voltaire nous décrit ainsi le désastre de Lisbonne avec tout l’aspect pathétique qu’il entraîne. La souffrance, le dégoût, l’effroi, la tristesse, toute les émotions les plus sombres sont envisagés pour donner au lecteur une idée de l’horreur vécue.

 

Ainsi nous avons pu voir que par ce texte, Voltaire décrit le désastre de manière pathétique, cherchant ainsi à responsabiliser les lecteurs. Nous analyserons ce but dans un second temps.

 

II. Une dimension polémique

 

- On remarque tout d’abord un parallélisme syntaxique, ou plutôt une imprécation avec la répétition de « ô » visant à mettre en condition le lecteur. Voltaire en appel ici aux victimes du désastre ; il compatie.

- « Philosophes trompés » Par ce vers, l’auteur dénonce les théories leibniziennes qui veut que tout soit bien dans le meilleur des mondes. « Trompés » semble davantage signifier « trompeur ».

- « Accourez, contemplez ces ruines affreuses » poursuite de l’accusation par un argument d’autorité basé sur un fait réel, scrupuleusement détaillé.

- « Direz-vous : [...] le choix ? », « Direz-vous : [...] leurs crimes ? » Construction de l’argumentation sous la forme thèse-antithèse avec une répétition de « direz-vous » ce qui implique que voltaire se mettent à la place des philosophes trompés pour mieux les contredire ensuite.

- « Quel crime, [...] sanglants ? » L’antithèse évoquée ne se fait pas attendre. L’auteur utilise la candeur des enfants pour montrer qu’ils ne peuvent être coupable de crimes (étant trop jeune), bien qu’ils soient victimes.

- On remarque que Voltaire utilise plusieurs interrogations rhétoriques : « Sur le sein maternel écrasés et sanglants ? », « Lisbonne [...] les délices ? ».

- On note aussi une métaphore filée avec « plongés », « abîmée », « naufrages » pour donner plus de poids à l’antithèse entre Paris et Lisbonne.

- Comme déjà cité, on note aussi l’implication de l’auteur avec « vous pleurez comme nous » et « ma plainte ».

- « Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes [Ma plainte est innocente et mes cris légitimes. » L’auteur prend à parti les lecteurs pour leur montrer le but rechercher par ce texte, et leur prouver qu’il le fait de manière légitime.

- On remarque aussi l’utilisation de l’alexandrin pour donner plus de porté, de ton au texte et permettant ainsi une meilleur description/argumentation.

- L’utilisation de la poésie souligne le veut de frapper le lecteur par une dramatisation rythmée qui possède plus d’impact qu’un récit en prose.

- De plus, on remarque qu’une rime sur deux est frappante, ce qui donne davantage de poids dans l’argumentaire.

- Présence d’une ponctuation très soutenu pour donner toujours plus de rythme au texte, et donc un impact plus fort auprès de l’opinion du lecteur.

 

Ainsi, par un poème extrêmement bien construit, Voltaire peint le désastre de Lisbonne de manière macabre, pour mieux critiquer les philosophes comme Leibniz qui pensent que tout est bien dans le meilleur des mondes.

Nous aurions aussi pu étudier la souffrance des victimes...

D’autres auteurs ont utilisé la poésie pour dénoncer comme par exemple dans la satire politique Odes de André Chénier.

Partager cet article
Repost0
3 août 2009 1 03 /08 /août /2009 14:59



Texte étudié

La Vérité toute nue
        Sortit un jour de son puits ;
Ses attraits par le temps étaient un peu détruits,
        Jeune et vieux fuyaient sa vue :
La pauvre Vérité restait là morfondue,
Sans trouver un asile où pouvoir habiter.
        À ses yeux vient se présenter
        La Fable richement vêtue,
        Portant plumes et diamants,
        La plupart faux, mais très brillants.
        Eh ! Vous voilà ! bonjour, dit-elle :
Que faites-vous ici seule sur un chemin ?
La Vérité répond : vous le voyez, je gèle :
        Aux passants je demande en vain
        De me donner une retraite,
Je leur fais peur à tous. Hélas ! je le vois bien,
        Vieille femme n’obtient plus rien.
        Vous êtes pourtant ma cadette,
        Dit la Fable, et, sans vanité,
        Partout je suis fort bien reçue ;
        Mais aussi, dame Vérité,
        Pourquoi vous montrer toute nue ?
Cela n’est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous ;
        Qu’un même intérêt nous rassemble :
Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble.
        Chez le sage, à cause de vous,
        Je ne serai point rebutée ;
        À cause de moi, chez les fous
        Vous ne serez point maltraitée.
Servant par ce moyen chacun selon son goût,
Grâce à votre raison et grâce à ma folie,
        Vous verrez, ma sœur, que partout
        Nous passerons de compagnie.

« Pour vivre heureux, vivons caché »

Fables

 

Ecrivain français du XVIII°siècle et petit neveu de Voltaire, Jean-Pierre Claris de Florian fut notamment connu et reconnu pour ses talents de fabulistes. Né en 1755 dans les Basses Cévennes au sein d’une famille de tradition militaire, il choisira cependant une carrière dans la littérature, soutenu et protégé par son oncle, le duc de Penthièvre. Il entrera à l’académie française en 1788 mais quelques années plus tard, en 1794, il mourra suite à la captivité qu’il dut subir lors de la Révolution.

En 1792, Jean-Pierre Claris de Florian publie la fable et la vérité, premier apologue satirique de son recueil : Fables. Par ce texte l’auteur met en scène deux femmes, la fable richement vêtue et la vérité vieille et nue, personnification de la vérité et du mensonge.

Aussi pouvons-nous nous demander comment l’auteur s’y prend-il pour transmettre sa morale.

Nous verrons tout d’abord la double personnification présente dans ce texte, avant de porter notre attention sur la dimension polémique de cette fable.

 

I. La double personnification

 

1.1 L’hideuse vérité...

 

  • Une personnification péjorative

 

On remarque qu’une première partie de la fable (du vers 1 à 6) est dédiée à la présentation péjorative de la vérité.

- La vérité est mise en scène dès le premier vers par « La vérité toute nue ». Il s’agit là d’une personnification qui se prolongera tout au long de la fable. De plus, le fait qu’elle soit nue donne l’idée de pauvreté. Celle-ci se remarque aussi par « ses attraits par le temps étaient un peu détruits » ce qui indique qu’en plus d’être nue et sans logis, la femme est vieille et laide. « Vielle femme n’obtient plus rien » conforte cette proposition. Elle a cependant été belle comme nous l’indique l’utilisation de l’expression « par le temps ». De plus, « pauvre » dans « la pauvre vérité » insiste sur la pauvreté de la vieille femme. « Sortit un jour de son puits. » Le puit étant un trou, il fait référence à l’abîme dans lequel la vérité due rester cloîtrer. Nouvelle idée de pauvreté accentuée par un sentiment de rejet. Celui-ci se remarque aussi par « jeunes et vieux fuyaient à sa vue ». Par ce 4ème vers, toute la société est représentée, et toute celle-ci fuie devant la vérité. Le rejet se ressent également dans « La pauvre vérité restait là morfondue, sans trouver un asile où pouvoir habiter » et « Aux passants je demande en vain de me donner une retraite, je leur fais peur à tous : hélas ! Je le vois bien, vieille femme n’obtient plus rien. ». Par ces deux citations nous pouvons noter le rejet et la tristesse ressentie par la vérité. Celle-ci demande un gîte mais fait fuir tous ceux à qui elle le sollicite. De plus, le narrateur externe et omniscient de ce texte trahit sa position avec l’adjectif « pauvre » : il est compatissent ce qui accentue un peu plus la pitié ressentie par le lecteur.  L’exclusion de la vieille femme par la société se note par la présence de termes caractérisant des lieux, mis en relation par d’autres représentant la solitude, la pauvreté ou la tristesse comme « toute nue » (mit pour la pauvreté) et « puits » (caractérisant son habitation précaire), « là » (adverbe qui indique qu’elle traîne), « morfondue » (tristesse) et « asile » (foyer décent), « chemin » (se rapproche avec « là ») et « seule » (solitude).

- On remarque quelques allitérations dissonantes dans la description de la vérité comme par exemple en « -té » où le son produit n’est pas mélodieux. Ce qui met un peu plus le lecteur dans la condition choisie par l’auteur.

 Ainsi, la vérité est personnifiée en une femme, pauvre, laide, nue, sans foyer, seule, triste et rejetée de la société.

 

1.2 ...qui s’oppose à la beauté de la fable

 

  • Une personnification méliorative

 

A partir du 7ème vers entre en scène une nouvelle femme : la fable.

- Comme pour la vérité, la fable est une personne comme nous l’indique des personnifications comme « richement vêtue », « dit-elle »...

- « A ses yeux vient se présenter » la fable est plus sociable que la vérité ; elle n’hésite pas à venir voir cette dernière. On remarque aussi que tout au long du texte, la fable maîtrise le discours. En effet l’interjection « Eh ! » dans « Eh ! Vous voilà ! Bonjour, dit-elle » montre qu’elle n’a aucune difficulté à aller voir les autres. Il semblerait qu’elle soit plus extravertie.

- De plus, « cela n’est pas adroit : tenez arrangeons-nous » montre que la fable semble avoir le cœur sur la main, elle semble être prête à aider la vérité...

- Cependant, elle pose une question « Pourquoi vous montrez-vous toute nue ? » sans en attendre la réponse. Elle tente en effet de séduire, voire de corrompre la vérité pour parvenir à ses fins. Elle veut être bien vue de tous comme nous l’indique la suite de sa réplique : « Chez le sage, à cause de vous, je ne serai point rebutée... »

- L’expression « sans vanité » montre que dans son discours avec la vérité, la fable pèse ses mots ce qui conforte l’idée de séduction par la parole.

- Celle-ci est populaire comme nous l’indique « partout je suis fort bien reçue ».

- Elle est riche bien que se ne soit parfois que des artifices « la fable, richement vêtue, portant plumes et diamants, la plupart faux, mais très brillants. »

- On note une comparaison avec « vous êtes pourtant ma cadette » qui insiste sur le fait que la fable soit plus belle que la vérité.

Ainsi, la fable est perçue comme une belle femme, aimable, extravertie, bien avec tous, modeste, riche...cependant, on note que dans son discours, elle cherche à aider dans son intérêt...la fable est une séductrice.

 

Ainsi nous avons vu que Florian oppose le mensonge et la vérité grâce à la personnification en deux femmes d’allures radicalement distinctes. Nous verrons dans un second temps l’aspect polémique de cette fable.

 

 

 

II. Une fable satirique

 


2.1 Le rôle des personnages par rapport à la morale

 

  • Le rôle de la vérité

 

- On note un rapprochement entre « La vérité toute nue » et l’expression, « se mettre à nu », qui  signifie « tout dévoiler s’en omettre de détail ».

- De plus dans « Sortit un jour de son puits. », « un jour » nous donne l’idée que, d’après la morale, la vérité n’est pas souvent dévoilée.

- « Jeunes et vieux fuyaient à sa vue », comme vu précédemment, la société rejette la vérité. Mais sa va plus loin, tous ont peur d’elle, ce qui implique du point de vue de la morale que « toute vérité n’est pas bonne à dire ou à entendre ».

- « je demande en vain une retraite » insiste sur le fait que peu de gens sont près à dire la vérité en sachant ce que cela impliquerait...sauf peut-être les sages comme nous l’indique « chez le sage, à cause de vous, je ne serai point rebutée ». Par ces deux vers, on note que selon Florian, la majorité de la société se compose de personnes malhonnêtes et que peu de monde est « sage », c’est-à-dire francs.

 

  • Le rôle de la fable

 

- A l’inverse de la vérité, la fable séduit. Elle est « partout fort bien reçue » ce qui implique, dans le contexte de la morale, que le mensonge paraît plus avantageux au plus grand nombre. « Partout » est mit pour la société.

- Comme vu précédemment, la fable utilise des artifices « la fable, richement vêtue, portant plumes et diamants, la plupart faux, mais très brillants. ». Il s’agit là pour Florian de montrer que le mensonge paraît être un atout séduisant, mais en réalité, il ne repose sur rien de concret.

- Par contre, « À cause de moi, chez les fous vous ne serez point maltraitée » indique que les nobles, puisque « fous » représente la noblesse, sont d’habituels menteurs.

 

Ainsi au-delà de la personnification, la fable et la vérité représentent  le mensonge et la sincérité dans la société. Florian montre que la majeure partie des gens ment et plus particulièrement la noblesse (qui possède le pouvoir). A l’inverse, peu de personnes sont franches. Les « sages » ou plutôt les philosophes le sont. L’auteur montre aussi que le mensonge est plus séduisant a employé bien que pour lui, elle n’est que de la poudre aux yeux et ne vaut pas la franchise. Il donne implicitement son avis sur la question.

 

2.2 L’utilisation de la Fable

 

La fable est souvent utilisée pour dénoncer les travers de la société comme l’a notamment fait La Fontaine. L’atout de ce genre étant la morale qui imprime un message dans la conscience du lecteur.

- La morale de ce texte est : « Chez le sage, à cause de vous, je ne serai point rebutée ; a cause de moi, chez les fous, vous ne serez point maltraitée ». Elle signifie que pour fonctionner mensonge et sincérité doivent se lier ensemble. Ainsi, pour l’auteur, le mensonge n’est pas répréhensible lorsqu’il est ponctué d’une part de vérité. Cependant lorsque la vérité est nue, elle fait fuir, tandis que quand le mensonge est seul, il séduit mais se fait réprouver tout de même par les philosophes et les sages. On note alors une approche didactique de la part de l’auteur qui herche à enseigner qu’une vérité ne peut être dite sans une part de mensonge.

- Une deuxième leçon est à tirer de cette fable. En effet, on note que la morale fait mention des « fous », ou plutôt des nobles. A l’époque où Florian écrit, la noblesse vient à peine d’être renversée ; c’est elle qui possédait le pouvoir. L’auteur accuse cette classe de constamment mentir ce qui implique une dimension beaucoup plus satirique que didactique. Curieusement, il se fera enfermé le 9 thermidor pour avoir soit disant, soutenu la noblesse qu’il condamne avant 1792...mais il sera relâché.

- On peut aussi découper ce texte en trois suivant les trois temps employé. Dans un premier temps, du vers 1 à 6, l’auteur utilise l’imparfait de description pour justement décrire la vérité. S’en suit le présent de vérité général (vers 7 à 25) qui, dans la satire, à pour vocation d’affirmer une vérité toujours d’actualité quelque soit l’époque. Puis on note le futur qui clôt le schéma énonciatif. 

- Les rimes sont en grande majorité pauvres (19/33 vers), on note cependant des rimes suffisantes (6/33) et riches (8/33)

- Les rimes sont tantôt féminines (16/33), tantôt masculines (17/33).

- On note l’utilisation de rimes embrassées («  La vérité [...] vue », « La pauvre [...] vêtue », « De me donner [...] ma cadette », « cela n’est pas adroit [...] à cause de vous ») et croisés (« Eh ! [...] je demande en vain », « Dit la fable [...] toute nue », « Je ne serai point rebutée [...] chacun selon son goût ».) On note un doublé « Portant plumes et diamants, la plupart faux, mais très brillants. » et un tercet « Grâce à votre raison [...] nous passerons de compagnie ».

- L’auteur utilise une métrique quelconque, différente pour chaque vers. On passe en effet de vers à 7 syllabes à d’autres en alexandrins ce qui créait un effet de surprise, de saisie chez le lecteur.

- Les sons des rimes employés pour présenter la vérité ou pour la faire parler son moins beau que ceux utilisés pour la fable. En effet on note pour cette première des « -té », « -truit », « traite » qui donne une impression oppressant...tandis que pour la fable, les sons sont beaucoup plus harmonieux « -emble », « -oût », « -i », « -u »...L’auteur forge un contraste sonore entre les personnages opposés.

Ainsi les caractéristiques de la fable permettent à Florian de jouer sur les sons et créer une ambiance autour des personnages qu’il fait s’opposer. Il joue sur l’impression de saisissement pour faire encrer son message de la conscience de ses lecteurs.

 

Ainsi, Jean-Pierre Claris de Florian nous propose une fable qui cherche à dénoncer la noblesse tout en expliquant l’atout de concilier mensonge et vérité. Pour cela, il utilise l’apologue qui, par les rimes et les jeux de tonalités, lui permet de faire passer un message saisissant.

D’autres ont utilisé la fable comme notamment La Fontaine et le Lion et le Cerf.

Partager cet article
Repost0
3 août 2009 1 03 /08 /août /2009 14:42


Texte étudié :

"Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l’état de nature, elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d’une autre origine que la nature. Qu’on examine bien et on la fera toujours remonter a l’une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé ; ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils on déféré l’autorité.


      La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent : en sorte que , si ces derniers deviennent a leur tour les plus forts, et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l’autorité la défait alors : c’est la loi du plus fort.


      Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature ; c’est lorsqu’elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soumis : mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler et celui qui se l’était arrogée devenant alors prince cesse d’être tyran.


      La puissance, qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l’homme ne doit ni ne peut se donner entièrement sans réserve a un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C’est Dieu, jaloux absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux ; mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve afin que la créature s’arroge pas les droit du créateur. Toute autre soumission est le véritable crime de l’idolâtrie."


Lecture Analytique

« Egaré dans la forêt immense pendant la nuit, je n’ai plus qu’une petite lumière pour me conduire. Survient un inconnu qui me dit : Mon ami, souffle la chandelle pour mieux trouver ton chemin. Cet inconnu est un théologien. »

 

Cette courte citation extraite de Addition aux Pensées philosophiques écrit en 1762 par Denis Diderot traduit à elle seule, tout l’athéisme de l’auteur. Celui-ci s’inscrit dans le mouvement philosophique et littéraire des Lumières. Notamment connu pour avoir grandement collaboré à la publication de l’Encyclopédie (1751 – 1772), œuvre titanesque de 17 volumes rédigée sur plus de 20 ans dont il écrivit plus de 1000 articles.

 

La théorie de Diderot est principalement inspirée des thèses du philosophe anglais Locke dans son Traité du gouvernement civil (1689), ainsi de celles d’auteurs comme Rousseau (Discours sur l’inégalité et Contrat Social). Pour lui, « Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres ». Il s’agit d’ailleurs de la thèse d’un de ses articles, « Autorité », paru en 1751 dans le premier volume de l’Encyclopédie. Il y définit trois formes de puissance : l’autorité naturelle, l’autorité émanant de la violence et celle découlant d’un consentement.

 

L’extrait suivant de « Autorité » développe donc sa théorie. Aussi pouvons-nous nous demander comment Diderot s’y prend-il pour dénoncer l’autorité, dans un contexte politique répressif.

 

 Nous analyserons dans un premier temps l’audace du raisonnement de Diderot en notant les différentes définitions que celui-ci fait de l’autorité et la manière dont il les expose. Puis dans un second temps, nous porterons notre attention sur la parade que Diderot a mit au point pour éviter la censure.  

 

I. Un raisonnement audacieux

 

A. Diderot : Un penseur rigoureux

 

  • Un texte didactique structuré :

 

- Au paragraphe 1 (1 à 8) : Enoncé de la thèse de l’auteur et distinction des trois autorités (autorité naturelle, autorité émanant de la violence et autorité découlant d’un consentement)

- Au paragraphe 2 (9 à 13) : Définition de la puissance qui s’acquiert par la violence.

- Au paragraphe 3 (14 à 17) : Transition

- Au paragraphe 4 (18 à 27) : Définition de la puissance due à un consentement et justification de son argumentation (Dieu).

De plus, dans ce texte argumentatif, on remarque la présence de nombreux connecteurs logiques comme « mais » (l.3 et 15), « ou » (l.6 et 7), « car » (l.20), « aussitôt » (l.2 et 4), « quelque fois » (l.14), « en sorte que » (l.10), « autant que » (l.9), « si » (l.3 et 10) etc. Ceux-ci ont pour but d’articuler la pensée de l’auteur pour que le lecteur puisse suivre le cheminement intellectuel. Diderot cherche ainsi à enseigner, le texte est donc didactique.

 

  • Des termes soigneusement choisis :

 

On remarque que dans la rédaction de son texte, Diderot est à la fois objectif et catégorique.

- L’objectivité se ressent par la présence d’un unique pronom impliquant l’auteur : « Qu’on examine bien » (l.6). Par l’emploi de « on », Diderot semble jouer le rôle d’intermédiaire. Nous pouvons noter aussi « quelquefois » (l.14), terme qui montre que l’auteur prend en compte des cas rares. De plus, nous pouvons remarquer une hypothèse exprimée par la conjonction de subordination « Si » dans la phrase « Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle... » (l.3) ; « c’est » est un terme plus incisif, plus catégorique. De plus, on note la présence de « mais » dans « mais la nature à ses bornes » (l.3). Il s’agit là d’une concession. On remarque ensuite l’emploi de deux verbes au conditionnel : « elle finirait [...] seraient » (l.4), ce qui indique que l’auteur ne cherche pas à démontrer la théorie qu’une autorité naturelle existe. Nous pouvons remarquer un autre « si » dans « si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts ». Celui ne marque cependant pas l’objectivité de l’auteur car il est suivi d’un verbe au présent. Temps qui a dans ce texte une valeur de vérité générale. L’utilisation du verbe « suppose » dans « suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime », montre une nouvelle fois la tentative que Diderot fait pour montrer que celui-ci est objectif. Tous ces termes rendent le texte en apparence neutre. Ce n’est pourtant pas le cas.

- Dès l’énoncé de sa thèse, Diderot montre qu’il est catégorique dans l’expression de ses opinions. « Aucun » et « le droit » dans « Aucun homme n’a le droit de commander aux autres » (1.1) ne laisse en effet aucune place à la concession. De plus, on note que le temps principal de ce texte est le présent de vérité général. « Chaque individu » (l.2), « le droit » (l.2), « aussitôt » (l.2 et 4), « c’est » (l.3), « toute autre » (l.5), « toujours » (l.6) [...] sont autant d’expressions qui désignent l’aspect strict de la pensée de l’auteur. De plus, nous pouvons remarquer la présence de phrase courte en fin de paragraphe, ce qui permet à Diderot de placer des constats forts et donc, d’accrocher le lecteur. Les phrases longues quand à elles sont là pour le développement de l’argumentaire.

Ainsi, on peut s’imaginer que Diderot ne cherche pas la polémique, mais bien à enseigner sa théorie. Il rend son texte neutre par le biais d’artifices, mais reste catégorique dans sa conception de l’autorité.

 

B. Un texte engagé

 

  • Diderot expose sa théorie de l’autorité

 

Comme vu précédemment, Diderot définit trois types d’autorités :

- L’autorité naturelle venant de la mère et qui s’achève lorsque l’enfant est apte à vivre seul. Elle est donc limitée. Il s’agit là d’une thèse formulée par l’auteur, mais celui-ci ne cherche pas à la justifier ni à l’illustrer.

- L’autorité émanant de la violence. On note un champs lexical de la violence avec des termes comme « violence », « force », « joug », « obéissent », « soumis », « imposé », « tyran »... La mise en relation du « joug » avec la « justice » laisse planer l’idée d’une oppression. Nous pouvons aussi noter la présence d’une antithèse entre « celui qui commande » et « ceux qui obéissent » (l.10). Selon l’auteur, cette puissance est illégitime comme laisse le supposer la transition « ...celui qui se l’était arrogée devenant alors prince cesse d’être tyran » (l.16-17).

- L’autorité qui vient du consentement du peuple est quand à elle « légitime, utile à la société, avantageux à la République » (l.19) et limité. La présence de ces adjectifs mélioratifs trahie l’opinion de Diderot qui va plus nettement en faveur de cette dernière forme d’autorité.

 

Dans un premier temps, nous avons vu que par un raisonnement construit, Diderot s’oppose à l’autorité de l’homme qui s’établit par la violence. Il s’agit donc d’une réflexion audacieuse contre le pouvoir en place à cette époque, qui a pour habitude de censurer les essais politiques contre la monarchie. Dans un second temps, nous examinerons le stratagème mis en place par Diderot pour tenter d’échapper à la censure.

 

II. Une parade contre la censure

 

A. Dieu : Un argument de valeur

 

  • L’origine de la liberté et de l’autorité selon Diderot

 

Selon l’auteur, « la liberté est un présent du ciel ». Il s’agit là d’une périphrase car le ciel représente un Dieu. Diderot étant athée, on en conclut que pour lui, la liberté est un fait naturel. A l’inverse, on remarque la répétition du mot « droit » ainsi que la mise en parallèle d’une réfutation avec une affirmation (« Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel... » l.1-2). L’auteur semble chercher à prouver que l’autorité provient du droit, et donc de l’homme.

 

  • Un discours prophétique

 

- Présence d’un champs lexical sur Dieu : « Ciel » (l.2), « maître supérieur » (l. 21), « Dieu » (1.22), « maître [...] absolu » (1.23), « créateur » (1.27).

 

- Selon l’auteur, « l’homme ne doit ni ne peut se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. » (l.21-22) Il ajoute : « C’est Dieu, dont le pouvoir est toujours immédiat sur la créature [...] mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve, afin que la créature ne s’arroge pas les droits du Créateur » (l. 22-27). On note la présence de verbes comme « permet » (l.24) et « veut » (l.25) qui caractérisent ce que Dieu accepte et désire. De plus, on remarque que Diderot qualifie « le créateur » de « maître aussi jaloux qu’absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point » (l.23). Son pouvoir « est toujours immédiat » (l.22). Ainsi, Diderot semble prendre le rôle d’un prophète dictant les paroles de Dieu comme si celles-ci émanent directement de l’intéressé. De plus, il dicte le comportement que chacun doit prendre : « il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve » de manière implicite car masqué derrière le catholicisme.

Ainsi, selon Diderot, la liberté et l’autorité proviennent de Dieu, seul maître apte à gouverner les hommes. Dieu est donc employé comme argument de valeur.

 

 

 

B. Diderot : Un athée convaincu

 

  • Une vision péjorative de Dieu

 

Dieu est qualifié par l’auteur de « maître aussi jaloux qu’absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point » (l.23). Son pouvoir « est toujours immédiat » (l.22). L’emploi des termes « jaloux », « absolu », « au-dessus de tout » et la mise en relation des termes « créature » (l.26) et « créateur » (l.27) (antithèse) montrent un lexique très péjoratif.

 

  • Une critique implicite de la monarchie

 

Comme vu précédemment, Diderot utilise l’image de Dieu comme argument de valeur. De plus, on remarque l’utilisation de termes catholiques pour dénoncer la monarchie de droits divins. En effet, nous pouvons noter la présence de l’adjectif « jaloux » pour qualifier Dieu, ainsi que « ne perd jamais [...] ne les communique point » (l.23). Ainsi « le créateur » ne partage pas ses pouvoirs et donc, la théorie avancée d’un monarque émissaire de Dieu, est réfutée. Il permet toutefois « que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux » (l.25) mais il pose des conditions : « mais il veut que ce soit par raison et avec mesure » (l.26). On trouve ici une antithèse entre « raison » et « aveuglément », figure de style qui nous rappel la métaphore du flambeau (Lumières) irradiant l’obscurantisme.

 

Ainsi, Diderot s’oppose à l’autorité de l’homme qui s’établit par la violence, par le biais d’une réflexion audacieuse. Cependant cette entreprise de dénonciation du gouvernement monarchique n’est pas faite de manière explicite. Au contraire, il utilise un argument de valeur qui n’est autre que Dieu et emploi du vocabulaire catholique. Il se place alors dans le rôle d’un prophète dictant la parole divine, cette même parole qui va dans le sens du raisonnement de Diderot. Quoi de plus logique pour un fervent athée qui, pour reprendre le sens de la citation énoncée dans l’introduction, brandi la chandelle pour éclaircir l’obscurantisme religieux. Il s’agit là de deux des nombreux combats entrepris par la philosophie des Lumières et qui ont pu jouer un rôle lors de la séparation de l’Eglise et de l’Etat et l’installation d’une République.

Nous aurions pu étudier les influences de Diderot lorsque celui-ci a écrit son texte.

Le despotisme est aussi critiqué par Montesquieu dans le chapitre 6 du livre XI de De l’esprit des lois (1748).

Partager cet article
Repost0
3 août 2009 1 03 /08 /août /2009 14:24



Texte étudié


"Il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.


Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger, et l’autre simplement la puissance exécutrice de l’État.


La liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté ; et pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement.


Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pourvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.


Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.


Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré, parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme. "


De L’esprit des Lois (1748)


***

« Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il faut donc que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »


Cette courte citation extraite de « De l’esprit des lois » (1748), œuvre colossale de trente tomes rédigée sur plus de vingt années, résume à elle seule la pensée de son auteur, Charles de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, philosophe français des Lumières et pionnier du libéralisme en politique.


La théorie de Montesquieu est principalement inspirée des expériences anglaises de ce dernier, qui y vécut un temps et pût constater la naissance du parlementarisme et des toutes premières tentatives de séparations des pouvoirs qu’il admirât profondément. Pour lui, la concentration des trois pouvoirs – qu’il distingue au premier paragraphe du texte qu’il nous incombe d’étudier comme étant « la puissance de faire les lois » (le pouvoir législatif), « la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens » (le pouvoir exécutif) et « la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit public » (le pouvoir judiciaire) – entre les mains d’un seul conduit inévitablement au despotisme. Pour qu’enfin, le « pouvoir arrête le pouvoir », Montesquieu énonce sa célèbre théorie de l’équilibre des pouvoirs, préconisant une séparation organique mais non fonctionnelle de ceux-ci. Le partage des pouvoirs devant selon lui conduire à l’établissement d’un gouvernement modéré qu’il n’aura de cesse d’appeler de ses vœux tout au long de sa vie.


L’extrait suivant du chapitre 6, Livre XI de « De l’esprit des lois » prépare donc à l’énoncé de la fameuse théorie de l’équilibre des pouvoirs. Comment Montesquieu s’y prend-il pour poser les bases du message qui  le fera rentrer dans la postérité comme l’un des pères fondateurs de la science politique moderne ?


Montesquieu est tout d’abord un penseur de l’équilibre. Ce fait indéniable transparaît dans son texte tant au niveau de la forme que du fond. Le philosophe applique ici un raisonnement modéré qui s’inscrit dans le courant rationaliste des Lumières, raisonnement qui lui permet de poser les bases de sa célèbre théorie de l’équilibre des pouvoirs. Montesquieu est également l’un des plus farouches pourfendeurs de la tyrannie et du despotisme, et les conséquences d’un déséquilibre des pouvoirs, qu’il s’évertue à nous montrer dans son texte, sont la conséquence d’un déséquilibre de la pensée.

 

  1. I.        Montesquieu, penseur de l’équilibre

  2. A.    Un raisonnement modéré qui s’inscrit dans le rationalisme des Lumières
  • Un texte démonstratif structuré :

-         Aux paragraphes 1 et 2 : Distinction des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire)

-         Aux paragraphes 3 et 4 : Montesquieu présente l’intérêt de l’équilibre entre ces trois pouvoirs (thèse de l’auteur)

-         Aux paragraphes 5, 6 et 7 : Montesquieu s’attache à justifier ses positions. Cette démonstration placée en fin de texte, elle-même composée de trois parties, vient étayer et illustrer sa thèse.

  • Des termes soigneusement choisis :

On remarque que dans la rédaction de ce texte, Montesquieu est lucide, méthodique, raisonné :

-         Il emploie des phrases courtes, dénuées d’ironie, à la manière d’un texte didactique.

-         Il mesure ses propos pour éviter la censure et la polémique

-         On peut donc s’imaginer que son but n’est pas de choquer, mais bien d’instruire le peuple avec cette sérénité si caractéristique du penseur.

ð     Ainsi, le père du libéralisme en politique s’inscrit donc bien dans le courant rationaliste des Lumières, analysant méthodiquement et à la lumière de la raison la situation qu’il cherche à démontrer.

  1. B.     Montesquieu pose les bases de la théorie de l’équilibre des pouvoirs
  • Montesquieu expose sa théorie de la liberté :

Montesquieu expose sa conception de la liberté. « La liberté se définit comme le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir », explique l’auteur dans un autre texte que « De l’esprit des lois ». Pour lui, la liberté de chacun se doit d’être encadrée par un gouvernement et par des lois. Mais si le gouvernement concentre ces pouvoirs entre ses mains seules, la république (l’Etat) deviendrait alors autoritaire, les citoyens le craindraient et la liberté politique serait alors inexistante.

  • Montesquieu annonce la théorie de l’équilibre des pouvoirs :

La solution que Montesquieu propose n’est pas tant de séparer les pouvoirs, comme il le suggère à la ligne 16 du texte : « […] n’est pas séparée ». Mais plutôt de faire en sorte qu’ils n’atterrissent pas entre les mains d’un même homme ou d’un groupe de personnes (l. 20). Montesquieu prône ainsi un équilibre des pouvoirs pour que ceux-ci fonctionnent ensemble sans pour autant se voir concentrés entre les mains d’une seule institution. Voilà tout le sens de la séparation « organique mais non fonctionnelle » que préconise la théorie de l’équilibre.

  1. II.      Montesquieu, pourfendeur de la tyrannie et du despotisme

  2. A.    Les conséquences d’un déséquilibre des pouvoirs
  • Montesquieu démontre sa thèse sous forme d’équation :

-         Paragraphe 4 (l. 12-15) : Thèse : lorsque les pouvoirs législatifs et exécutifs sont entre les mains d’un seul homme, on peut craindre le despotisme.

-         Paragraphe 5 (l. 16-19) : Législatif + Judiciaire = Jugement arbitraire, celui qui fait les lois pourrait les faire appliquer sans contrôle.

-         Paragraphe 5 (l. 15-19) : Exécutif + Judiciaire = Oppression, le pouvoir de juger devient le seul fait du prince.

  • Résultat de l’équation ? L’absolutisme ne peut être évité que par l’équilibre :

Paragraphe 6 (l.20-22) : Répétition « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps de principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs.» : on lit dans cette courte phrase une crainte palpable chez Montesquieu, la crainte que la tyrannie n’empiète sur la sphère de liberté de l’individu. Montesquieu ne rejette pas seulement l’absolutisme d’un seul, il se montre également critique envers toute forme d’oligarchie (aristocratie ou même oligarchie populaire). La seule manière pour lui de mettre un terme à l’arbitraire que ces modes de gouvernements entraîneront inévitablement selon lui reste la séparation organique des pouvoirs.

  1. B.     L’arbitraire : conséquence d’un déséquilibre de la pensée
  • Pour Montesquieu, la modération des gouvernements réclame la probité de ces dirigeants :

Paragraphe 7 (l.23-27) : « Dans la plupart des royaumes d’Europe, le gouvernement est modéré, parce que le prince, qui à les deux pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième ». Cet argument, qui renvoie sans nul doute aux voyages que Montesquieu a eu le loisir d’effectuer tout au long de sa vie (notamment en Europe : Allemagne, Hongrie, Italie etc.) démontre que sans honnêteté, il n’est pas possible de mettre en place le gouvernement modéré. C’est parce le prince prend à sa charge de déléguer une partie de ses pouvoirs que peut se mettre en place un gouvernement modéré en Europe.

  • L’absence de modération des dirigeants enferment leurs sujets dans le giron du despotisme :

Paragraphe 7 (l.23-27) : Montesquieu oppose son premier exemple avec celui du régime Turc de son époque : « Chez les Turcs, où les trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan » (l.25). Ainsi, cette métaphore nous laisse imaginer que le sultan porte une couronne qui symbolise ses pouvoirs et lui donnerait la légitimité de les exercer. L’emploi du terme « affreux despotisme » nous montre cette fois le visage le plus critique de Montesquieu, opposé à toute forme d’autoritarisme : le sultan turc n’est pas une personne modérée, son gouvernement est à son image.

Ainsi, au travers de l’étude de ce texte, nous avons pu voir de quelle manière Montesquieu posait les bases de sa théorie de l’équilibre des pouvoirs, par le biais d’un raisonnement construit et argumenté à rapprocher du rationalisme des Lumières, couplé à une critique sous-jacente du despotisme.

Les théories de Montesquieu ont eu une influence directe durant la Révolution de 1789, les révolutionnaires français souhaitant s’inspirer de la théorie de l’équilibre des pouvoirs pour rompre avec l’Ancien Régime qui les asservissaient, en mettant en place le fameux gouvernement modéré. Mais bien vite, les tentatives des révolutionnaires conduirent à l’épisode de la Terreur, puis aux coups d’Etat successifs du Directoire, avant que la stabilité ne revienne suite au… coup d’Etat du 18 brumaire et à la mise en place d’un gouvernement répressif et militaire par Napoléon Bonaparte. La théorie et la mise en pratique sont souvent deux choses difficiles à concilier.

Partager cet article
Repost0